lundi 7 octobre 2013

LE PHOTOGRAPHE D’ALLENDE


PHOTO D'ORLANDO LAGOS, PARU DANS THE NEW YORK TIMES EN 1973


L’histoire secrète du « Chico »   Lagos, l'auteur des ultimes photos d’Allende

Dans une maison de repos pour personnes âgées - loin de la reconnaissance officielle et à 94 ans - est mort le photographe qui a enregistré les dernières images de l’ex Président le jour du coup d’Etat. Luis Orlando Lagos Vasquez a renoncé à la renommée mondiale qu’il méritait par un pacte secret signé avec « The New York Times » et même lors de ses funérailles le mystère du portraitiste du 11 septembre 1973 n’est pas sorti de l’ombre.

Ce fut un secret si bien gardé, que dans tous les hommages rendus ces derniers jours à feu Luis Orlando Lagos Vasquez (famille, presse, collègues et amis), personne n’a parlé de l’exploit réalisé par ce petit géant de la photographie chilienne, qui a été comparé avec des « classiques mondiaux », tels que les photo-reporters qui étaient présents en Iwo Jima, lors de la chute de Berlin ou pendant la guerre d’Irak.

« Chico » Lagos a fixé –avec une caméra Leica- de l’intérieur le drame qui s’est déclenché dans la Monnaie aux premières heures du 11 septembre 1973. Ainsi il a enregistré pour l’histoire le dernier parcours de Salvador Allende dans les dépendances du palais, entouré des « Gap »(1) et des carabiniers loyaux jusqu’à ce moment, alors que déjà les avions putchistes survolaient le centre de Santiago, en choisissant le trajet qu’allaient suivre plus tard leurs bombes contre le siège du Gouvernement.

Après avoir accompli son devoir professionnel, Orlando Lagos, photographe officiel de la Monnaie depuis 1970 –1,55 mètre de taille-, a réussi à sortir de là avec les filles du Président Allende, Beatriz e Isabel (l’actuelle députée), entre autres, durant une brève trêve accordée par les militaires, qui avançaient avec des tanks et l’infanterie pour bloquer toutes les issues.

Il a caché dans les plis de ses vêtements les plus intimes le rouleau avec les négatifs, base des images que deviendraient célèbres, restant lui dans un anonymat qui a duré des décennies, et qui vient de finir avec cette chronique. Les photos de « Chico » Lagos ont été publiées trois semaines plus tard aux Etats Unis, et ont commencé à faire le tour du monde, avec des copies par milliers sans attribution d’auteur. Le plus souvent comme témoignage du dernier acte politique de Salvador Allende, mais aussi comme exemple de photo-reportage dans des cercles professionels et académiques.

Auteur inconnu.

« The New York Times », considéré par beaucoup comme le plus important journal au monde, a acheté à Santiago, au début d’octobre 1973; pour 12 mille dollars –à cette époque, un montant de rêve-, un set de six photos d’Orlando Lagos, avec l’engagement de ne pas révéler son nom jusqu’au jour de sa mort. Mais lorsque celui-ci est arrivé –l’après midi du 7 janvier dernier, dans la Maison de retraite La Reina, du Conseil National de Protection de la Vieillesse-, les éditeurs new-yorquais avaient déjà oublié leur engagement, et ils n’ont même pas mentionné son décès dans leurs colonnes.

Le pire est que peut-être « Chico » Lagos n’a même pas reçu l’argent pour ses instantanés si saisissants. L’opération avec le « NYT » aurait pu se faire par le biais d’un intermédiaire dont on n’a jamais eu de nouvelles. Lagos n’a jamais été prêt à négocier les milliers de clichés « exclusifs » que sa position lui permettait de prendre chaque jour.

Photographe personnel d’Allende pendant ses quatre campagnes présidentielles, Orlando Lagos a continué à ses côtés à la Monnaie entre 1970 et 1973, l’accompagnant dans toutes ses tournées de Président, à l’intérieur et à l’extérieur du Chili. Lorsque s’est réalisée la vente au « New York Times » il était suivi de près par les sbires de Pinochet, qui ont fouillé sa maison trois fois après le coup d’Etat et détruit toutes ses archives ainsi que les appareils, à la recherche de photos « compromettantes ».

Avec le temps, le dramatique témoignage graphique du chilien à l’intérieur de la Monnaie s’est converti en un patrimoine commun de la presse mondiale et de la « résistance », par-dessus le copyright du journal new-yorquais, violé de nombreuses fois dans des livres, affiches, films, manifestations, disques et journaux (avec des copies de copies) sans que ne soit jamais mentionné le nom du véritable auteur des photos.

Les organisateurs du Prix International World Press ne l’ont pas fait non plus, en l’octroyant au titre de «  La Photo de l’Année 1973 » à la principale photo d’Orlando Lagos sur laquelle se reflète dans les visages d’Allende et de ses accompagnateurs (un gap, à droite, le médecin Danilo Bartulin, au centre, et à sa gauche le capitaine des Carabiniers José Muñoz) l’inquiétude face à la menace de l’imminent bombardement aérien qui s’insinuait à cet instant.

Profiteurs

Au-delà des manoeuvres commerciales, diverses thèses ont prétendu attribuer les photos d’Orlando Lagos à d’autres auteurs, en supposant même que le photographe inconnu « n’était pas un chilien ». Ou que les photos correspondaient en réalité aux préparatifs de défense du Palais de la Moneda devant le « tancazo »(2) (juin 1973) et non au 11 septembre.

L’écrivain résidant au Canada, Hermes H. Benitez, dans son livre « Les morts du Président Allende » (Ril Editores, Santiago 2006) assure à la page 88 de son oeuvre que les dernières photos du Président qui a dirigé l’Unité Populaire, « ont été faites » par un dénommé « Freddy Alborta ». Et ce nom existe, curieusement, et il s’agit en plus d’un photographe. Mais c’est l’auteur vérifié des tout aussi célèbres photos de Che Guevara après son assassinat dans une école de la Higuera, en Bolivie, en octobre 1967.

Frank Manitzas, correspondant de la chaîne nord-américaine de télévision CBS à Santiago en 1973-74, a déclaré à cette époque que l’auteur des photos à l’intérieur de la Monnaie, dans la matinée du 11 septembre, « était un dénommé ‘David’, d’environ 40 ans, aux cheveux blancs et qui portait une fine moustache ». Orlando Lagos avait déjà les cheveux blancs à l’époque, mais il avait 60 ans et selon ce que m’a déclaré sa fille, Julia Ester, qui l’a soigné jusqu’aux derniers jours, « il n’a jamais eu de moustache ni fine ni épaisse ».

A l’extérieur

L’intention du photo-reporter était de quitter le pays au plus tôt à cette époque-là, et c’est pour cela qu’il aurait négocié rapidement les photos, inquiet pour sa sécurité personnelle. D’après Manitzas, « il s’est empoché la non négligeable somme de 12 mille dollars ». Mais Orlando Lagos n’a jamais reçu cet argent, déclare Julia Ester, « au contraire il est resté au pays en affrontant de grandes difficultés économiques jusqu’à ce qu’il pût voyager au Venezuela, seulement en 1975, et avec le billet qu’a dû lui acheter un ami, car il n’avait pas d’argent ».

En 1988, le souvenir du photographe « anonyme » est ressuscité dans un reportage d’un quotidien de Santiago, qui a publié en grand titre : « David est-il vivant ? Des journalistes français le recherchent au Chili pour lui rendre hommage. » Mais Lagos n’a donné aucun signe, même pas en plein Gouvernement de la Concertation.

Lorsqu’effectivement le Collège des Journalistes lui a rendu hommage, douze ans auparavant, en 1986, et en pleine dictature, utilisant la tribune de la Salle Amérique de la Bibliothèque Nationale, remplie de journalistes, d’étudiants en journalisme et de correspondants étrangers, « Chico » Lagos a insinué la vérité sur le poids énorme qu’il portait depuis 1973. Personne – sauf les plus intimes – n’a fait attention au clin d’oeil que contenaient ses paroles lorsqu’il a dit textuellement : « Le plus émouvant dans ma vie professionnelle fut le 11 septembre 1973, lorsqu’étant à la Monnaie, le Président Salvador Allende m’a demandé d’abandonner le Palais du Gouvernement, qui fut bombardé cinq minutes plus tard. »

Orlando Lagos ne pouvait en dire plus alors, lui qui avait pris les photos qui allaient devenir historiques seulement quelques heures avant les adieux d’Allende. Ceux-ci ont consisté en une ferme poignée de main. Il ne parlerait pas non plus en public sur ce sujet postérieurement. Mais sa famille la plus proche a toujours su qu’il était l’unique auteur de ces photos mémorables. Dans l’ultime période de sa vie, « Chico » Lagos est tombé dans les griffes de la maladie d’Alzheimer, aggravée depuis la fin 2005, et n’a plus jamais parlé de son exploit.

Dans cette chronique de La Nación du dimanche, on reconnaît pour la première fois de manière explicite dans le journalisme chilien et international, qu'Orlando Lagos Vasquez est le père des dernières photos d’Allende vivant, à l’intérieur de la Monnaie, le 11 septembre 1973. L’auteur de cette note, en exil, le savait depuis 1974, mais jamais auparavant il n’avait pu le publier, même lorsque révéler le secret n’aurait nui à personne... sauf, peut-être, à ceux qui avaient touché les 12 mille dollars au nom de « Chico » Lagos. Mais ceci n’était pas du domaine public jusqu’à aujourd’hui, dimanche 4 février 2007.

Il a refusé une maison

« Chico » Lagos fut le photographe personnel d’Allende pendant ses quatre campagnes présidentielles. Lorsque tous les deux sont arrivés à la Monnaie, en 1970, le Président a voulu lui offrir une maison. Mais le photo-reporter l’a refusée, indigné. Le plus qu’a obtenu le Président est qu’il accepte l’installation d’un téléphone dans son domicile de la rue Lord Cochranne. « Je suis fatigué de t’envoyer chercher en taxi chaque fois que j’ai besoin de toi », s’est justifié le Président. Le 11 septembre 1973, Orlando Lagos est arrivé à pied jusqu’au siège du Gouvernement. 


Paru dans La Nación Domingo/Camilo Taufic

Traduction : Nadine BRIATTE, J.C. Cartagena
Notes du traducteur

(1) Les GAP (Grupo de Amigos Personales) sont des militants qui forment la garde personnelle de Salvador Allende.


(2) Soulèvement militaire du colonel Souper en juin 1973. Appelé Tancazo ou Tanquetazo, a été un coup d'Etat effectué contre le gouvernement de l' Unidad Popular du président Salvador Allende, au Chili. Il a eu lieu le 29 juin 1973. Le nom de « Tancazo » vient du fait que les rebelles ont massivement utilisés des tanks et autres véhicules de combats lourds. La résistance a été efectuée par les soldats du régime constitutionnel et par le Commandant en Chef de l'Armée Carlos Prats


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